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CATHERINE RIBEIRO

Ribeiro et Jihel


 

Voilà des noms qui me sont familiers tant ils ont peuplé mon univers de révolte de l'après 68, dans deux disciplines différentes ces deux artistes de par leur charisme ont enchanté mes sensations visuelles et sonores. Ils furent des modèles, sorte de référence que l'on balance comme ça dans une discussion de dîner en ville pour faire croire que l'on sait...Qu'on est à la pointe de ce qui se fait de mieux, bien sûr il y avait toujours quelqu'un pour dire, c'est qui ? Alors là j'étais à mon aise pour faire de l'épate, je connaissais mon sujet sur le bout du cœur, j'étais jeune.

Les voilà maintenant icônes au sens païen du terme.

Jihel a souvent pris comme image de ses désirs anars la chanteuse, elle apparaît dans de nombreuses séries sérieuses, la patte Noire, l'idée Noire, Art et Anarchie, Warhol art, etc... Très souvent associée à Louise Michel, Il Warholisera ses attitudes scéniques avec un talent hors du commun, un fond jamais neutre comme une perturbation de ce que l'on fixe, un trouble intemporel de la vision qui surréalise Catherine, l'image réinventée est une abstraction de l'esprit, il y a là comme une précision méthodique qui porte le visuel d'une photo au sommet de l'acte pictural pour parvenir et terminer dessin. Finalement je me suis souvent posé la question, mais qui regarde qui ? Chaque composition est un petit chef d'œuvre que l'on ne se lasse jamais de regarder, Jihel est un frotteur d'images et de mots qui font toujours des étincelles.

Artiste complet, sculpteur, photographe, peintre, graveur et philosophe, il exprime dans son cheminement artistique une émotion rare au travers d'une philosophie de la vie très personnelle, il questionne sans cesse la vie, la mort, la transcendance, le temps et l'espace, questions fondamentales de l'existence humaine. En incluant dans son œuvre Catherine il prolonge ce désir d'un temps qui lui échappe et dont il sent bien qu'il faudra mettre un terme, le suicide résonne dans son œuvre comme une attente, en étant attentif on perçoit une chaîne d'idées sombres qui détruisent son arbre de vie, je retiens ce texte sur le sujet " Y a-t-il plus de courage à subir la violence et les souffrances d'une vie douloureuse, que de s'armer contre la mer des douleurs et l'arrêter par le geste fatal ?" No comment. Cet être compliqué a beaucoup de talent mais il n'aimait pas cela, il se méfiait de l'art et surtout de ces fonctionnaires-artistes du pouvoir qui sollicitent des aides, lui qui a choisi la liberté s'est toujours refusé à le faire. Tout cela donne à son travail une puissance exceptionnelle en dehors des modes et des courants artistiques, ce qui explique partiellement que son œuvre hétéroclite fascine autant depuis plus de quarante ans de par le monde et en particulier aux États-Unis. L'effet de répétition certainement desservi par des couleurs primaires est largement rattrapé par des textes radicaux et donne un sens à l'énergie qui traverse son oeuvre. C'est loin d'être une critique car je sais que Jihel cherche toujours l'humanisme au fond du silence, c'est ce qu'il appelle souvent "Les espaces clos" ou encore "Le vide du noir" Je sais aussi pour l'avoir entendu dire lors d'une conférence animée que le côté répétitif quelquefois décrié de ses séries est voulu, il est là pour constituer des ensembles cohérents, parfois c'est par le texte, d'autres fois par l'image.

Jihel est l'initiateur de plusieurs mouvements artistiques, qu'il sabordera dès qu'ils prenaient de l'importance, copy-art, art-établi, l'art uchroniste et certainement le plus important le mouvement pirate, pionnier il piratera le premier salon du George V en 1975, j'étais présente, lui aussi ( Le dictionnaire de la cartophilie Francophone paru en 1990 indique par erreur sa première intervention pirate en novembre 1980) toujours à l'avant-garde il s'est vite épuisé de ces querelles intestines propres au monde des illustrateurs dont il est sorti très vite, il dira de cette période, je cite "D'abord il y a les artistes, puis vient très vite la jalousie et le mensonge, alors se greffent les rapaces réconciliateurs, ces pseudo-collectionneurs qui virent marchands en se disant Présidents de clubs ou organisateurs bénévoles de salons-expositions, invitant l'artiste mais à condition que.....c'est à ce moment-là que je pars pour un ailleurs respirer un air plus sain et surtout plus libre."

Ribeiro a souvent chanté la révolte, la vie et la mort avec cette voix à nulle autre pareille, une voix qui vous donne comme une envie de partir pour un ailleurs cosmique, accompagnée du groupe 2bis ou Alpes, elle s'invite constamment dans mes souvenirs par des chansons d'anthologie comme "Âme debout" ou "Paix", une voix sensuelle humaniste et rebelle à la fois qui s'approche du vertige, qui s'accroche aux étoiles, cette voix mesure et comble le vide et par-delà le bruit du monde, elle cherche à atteindre l'essence des belles choses et elle y parvient. Grande figure du rock Français des années 70 elle vit à présent en ermite retirée du monde.

A n'en point douter nos deux artistes se connaissent bien et certainement plus que bien. Depuis quand ? En marge de Mai 68 ou dans l'après très certainement. Jihel était très actif au cœur de cette révolte étudiante, Catherine était à l'hôpital pour une tentative de suicide. Ils ne pouvaient pas ne pas se rencontrer, animés qu'ils sont des mêmes désirs de paix, de justice et de révolte mais aussi et surtout de ce mal de vivre dans une société qui broie tout ce qu'ils aiment, la nature, les animaux et les hommes, il n'y a plus de place pour la poésie dans ce monde que nous fabriquons. Ils ont une histoire commune qui traverse les décennies en pointillé en empruntant des chemins parallèles qui s'entrecroisent souvent, comme une idée du temps passé, ce point de départ partagé. Tous les deux se détachent du présent à leur manière comme si le froid du dehors ne correspondait plus aux valeurs et formes de pensée du monde actuel.

En marge du mouvement anarchiste ils ont toujours été présents dans de nobles combats, contre le Franquisme, Pinochet, l'apartheid, pour la Palestine, Greenpeace, Amnesty International, le féminisme et tant d'autres causes plus qu'honorables. En bon anarchiste Jihel déteste les pétitions c'est vrai que son nom ne figurera que très peu souvent au bas des feuilles de papier, mais ses dessins sont des pétitions à part entière. Catherine, elle, a signé de très nombreuses pétitions.

Ces deux artistes développent toutes les potentialités de leurs richesses infinies pour nous séduire, je parle au présent car ni les dessins de l'un, ni les chansons de l'autre n'ont pris une ride, ils nous aident à devenir indépendants libres et responsables et enfin chassent en nous ces esprits obscurs dont Picasso parlait si bien.

Ils sont tous les deux en retrait, hors du temps, de notre temps à nous car le leur est diffèrent peuplé de chimères, mais ils restent tout aussi efficaces pour les jeunes générations.

Le soir tombe doucement sur la ville, une petite pluie tinte à présent sur les vitres, il ne fait pas froid, j'ouvre un classeur de dessins de Jihel, je pose un vieux 33 tours de Catherine sur ma platine et je m'enfonce dans mon club usé avec mon chat noir sur les genoux, devinez, je l'ai appelé Egrégore, ma vie s'ensoleille tout à coup, je ferme les yeux un instant, je les vois jeunes, beaux, parce qu'il étaient vraiment beaux ces deux-là, au sens propre comme au sens figuré, de belles âmes rouges et noires, actifs, pacifistes virevoltants d'idées et de désirs, révoltés jusqu'à plus soif, construisant un monde utopique mais où il ferait bon vivre et.... Mais c'est la dernière page du classeur, un dessin soutenant la cause Palestinienne ferme le ban, le disque vient de s'arrêter, la voix immense de Catherine m'a quitté, la réalité reprend ses droits, il pleut un peu plus fort comme pour me signifier que le temps n'est pas maléable à merci, seuls les ronronnements d'Egrégore troublent ce bruit de pluie, je redeviens malheureuse, que font ces deux artistes maudits à cet instant ? Cloitrés dans leur mélancolie d'espérances non abouties, certainement très loin l'un de l'autre, Sedan New-York, un courriel règle facilement ce problème. Je suis assez fière de les avoir rapprochés à nouveau quelques instants, des minutes gagnées sur l'oubli et la mort, des minutes conservées en moi comme un don, une sorte de rétrospective qui résonne dans ma tête, il ne pleut plus, il est trois heures du mat, je fixe cette solitude de mes maîtres, ils furent mes invités et le temps suspendu à un dessin, une chanson me procure la consolation du vide effroyable qui m'entoure à présent.

Il me faudra renouveler cette expérience, j'étais bien.

Je ne suis pas très gaie cette nuit mais c'est une tenue de rigueur quand on fréquente comme moi depuis quatre décennies Jihel et Catherine.

Ces deux-là sont la sœur et le frère que je n'ai jamais eu et certainement plus dans les tréfonds de mon esprit Althusserien.

 

Isa-Lola Grace de RON

Août 2014, Londres

Mannequin.

Mon classeur sur Jihel comprenait la série complète de ses dessins pour une série intitulée "L'allégorie sociale"

Le vinyl de Catherine était "Tapages nocturnes"

Pour avoir consulté la page facebook de Catherine je sais qu'ils sont toujours en contact et c'est récent, premier semestre 2014, la page de Catherine s'est enjolivée de beaux dessins, l'arbre de vie de Jihel embrase magnifiquement la solitude de Catherine. La page de Jihel est désespérément vide. On pourrait penser le contraire mais il est plus facile de contacter Catherine que Jihel. 




 

Catherine Ribeiro


 

Bien sur Jihel est dans la mémoire de nos révoltes et ce depuis 68, un peu avant même, son lycée se souvient de ce tribun montant sur les tables pour pousser au désordre, le copain, j'allais dire le camarade, je crois qu'il n'aime pas, le copain donc des combats perdus mais aussi gagnés, Franco, Pinochet, les Lip, le Larzac, l'autogestion, son crayon, sa plume, son encre comme des bombes, ses rouges et ses noirs qui font fuir le bourgeois ou l'attire bizarrement pour s'encanailler, son drapeau noir qui flotte depuis plus de quatre décennies dans ses textes ou ses dessins, une note artistique pop-art qui ne laisse pas indifférent. Un chemin droit qu'il a arpenté toujours à gauche, encore plus à gauche, encore un peu, là vous y êtes, juste sur la crête qui fait dire que l'on existe et que l'on est vivant, il n'a pas bougé le petit anar qui s'essayait à la répartie avec les Bourdieu ou Althusser dans les AG, une vie d'artiste militant qui allait croiser et recroiser Catherine, un calque sur les mêmes combats, les mêmes désirs de paix, de liberté et de justice, des dessins mettant en scène la grande Ribeiro pour des époustouflantes planches qui claquent comme des affiches sur nos murs privatisés de la Commune de 68.

Et cette autre révoltée, Louise Michel omniprésente dans le texte ou en médaillons comme pour rappeler que Jihel n'a pas oublié son premier réseau libertaire activiste. De Paris à New York, de Turin au Sud de la France notre établi a quitté les usines et les squats un peu désabusé pour vivre en ermite dans son mas entouré de milliers de livres et de souvenirs, pas de médailles ni de décorations, il les refusera toujours laissant cela comme il disait aux Mireille Mathieu de l'inculture, il nous montrera sa seule médaille, une cicatrice à son front qui rencontra en Mai 68 une matraque de CRS.

Il nous laisse une multitude de témoignages sur les gens qu'il aime et dont Catherine est au Panthéon avec de très nombreuses planches, ça méritait bien un accrochage virtuel.

 

Irwin CALLE

Artiste Graffeur street art et accessoirement libertaire. 

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