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HAYANGE 

                            JIHEL à Hayange ou la satire à l’épreuve de la bête.




Face aux hauts-fourneaux aujourd’hui éteints, La Madone se tient debout à l’endroit exact où le sentier vient effleurer la balustrade. Son profil se détache sur un ciel changeant avec le contour tendre et presqu’irréel que donne la réverbération de la furie des hommes de la vallée de la Fensch. Elle est si belle.

C’est ici que les sidérurgistes avaient planté un gigantesque SOS destiné à alerter l’opinion sur le sort de la sidérurgie moribonde, celui-là même qui avait rendu le même service à Longwy, quand un certain Fabius, alors le plus jeune premier ministre que la France ait connu, entreprit la restructuration de la sidérurgie Lorraine. En 2012, tout ce qu’avaient prédit les plus pessimistes, prétendument alarmistes, sur les conséquences de la gestion du marché mondial de l’acier par Lakshmi Mittal, s’est révélé tout à fait exact, en pire peut-être : les hauts-fourneaux sont éteints, et Hayange se vide de sa substance, la ville s’est donnée à un jeune dictateur paranoïaque aux méthodes de gourou. Tout cela est devenu une triste réalité.

La Madone est trop occupée à veiller sur le marché mondial de l’acier pour s’intéresser encore aux habitants de la vallée dont elle fut pourtant longtemps l’esprit solitaire. On ne peut pas lui en vouloir, elle a fait son boulot. Les De Wendel et les paroissiens du Conseil de Fabrique l’ont placée là pour cela à l’époque bénie où ils en étaient eux-mêmes les premiers bénéficiaires.

La litanie s’est interrompue. Commença alors l’agonie des derniers hauts-fourneaux qui avaient arraché un jour à leur terre d’innombrables paysans pour les jeter dans le tourbillon des « trois-huit » en milliers d’ouvriers. Le gueulard du dernier haut-feu cessa de hurler.

Ceux-là oublièrent l’histoire de leur lignée. La longue migration de leurs ancêtres disparut dans les limbes de leurs mémoires fatiguées laissant monter l’indifférence et la peur de la différence. Hayange s’est donnée à la bête. Un jeune maire d’extrême droite, inculte, incompétent, autoritaire et capricieux a fait main basse sur la ville et ses quartiers. Le Front National et Riposte Laïque se vautrent dans les fauteuils de la République. L’intolérance s’est annoncée. L’orgueil et la honte se sont installés.

Comment les plus anciens ont-ils oublié que cette histoire s’est déjà jouée il y a moins d’un siècle ? Comment ont-ils oublié qu’eux-mêmes ou leurs parents ont été cet étranger, ce métèque, ce rital, ce macaroni, ce bicot, ce juif errant, repoussé aujourd’hui non pas parce que nous serions racistes mais parce que nous sommes vigilants et qu’il n’y aurait pas assez de place pour tout le monde sur notre beau bateau ?

Comment ces vieux émigrés italiens, leurs fils, leurs petits fils, qu’ils aient été du côté des bourreaux ou qu’ils aient été du côté des victimes, comment ont-ils pu oublier que les violences du pouvoir mènent à la soumission, à la manipulation, à la servilité du corps, des corps et des esprits, à la guerre ? Je ne sais pas si aujourd’hui les nouveaux maîtres de la ville sont des fascistes, probablement ne le savent-ils pas eux-mêmes tant ils sont incultes. Ce qui est sûr, parce que nous l’avons vu, de nos yeux vu : ils s’en sont pris au Secours Populaire Français, cette association de solidarité issue de la dernière guerre par un acte d’une grande violence : au début de l’hiver, Fabien Engelmann, le maire FN de la ville, a fait couper le chauffage et l’électricité. Résister à la banalisation de ces valeurs, de ces méthodes, de ces pratiques, c’est faire acte de résistance éthique. Je ne dis pas que ceux-là deviendront des criminels. La prévision est un art difficile. Mais ce que je sais, clairement, sans ambiguïté, c’est que la marginalisation et la relégation de ceux qui ne leur ressemblent pas nourrissent cette terrible pulsion de mort. Et c’est ainsi qu’ont toujours commencé les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

C’est ainsi que JIHEL, inconnu jusque-là à Hayange, créateur, sculpteur, imprimeur, lithographe, sérigraphe, écrivain, photographe, de renommée internationale, devint hayangeois. Nous sommes nombreux à attendre avec impatience et gourmandise la dernière production de Jacques mettant en scène « le vautour de Hayange », agrémentée des reportages de Philippe dans le désormais célèbre Cagouillou. Cette manière d'inventer des situations mettant en scène le seul maire d’extrême droite élu dans le Grand-Est m’a séduit.

Ne nous trompons pas ! Jihel est sans aucun doute, parmi tous les caricaturistes, probablement le plus important, en tout cas, le plus excessif ! Ses œuvres satiriques sont appréciées par les collectionneurs dans le monde entier.

Ses dessins sont des brûlots, conçus dans la nuit, dès qu’il en éprouve le besoin. Une injustice, une noirceur, une indignité, un arbitraire, un abus ? Il crée à partir des éléments fournis par la vie, la « vraie » vie, celle en train d’être vécue. Il ne s’autocensure pas. Et à Hayange, les occasions ne manquent pas. Et ça fonctionne… Bébert et Cagouille ont la lourde charge de varier les effets, les cadrages, les échelles, les formats, le statut des témoignages, même quelquefois les preuves, ainsi que les relations toujours lumineuses entre les mots et les images.

Cher Jacques, j’ai plongé dans ton œuvre pour essayer d'écrire quelque chose de sensé à son propos... Je ne sais que faire d'une idée qui a doucement germé... Alors que les dessinateurs politiques ou caricaturistes que je connais (un peu, je ne suis pas un réel connaisseur de cette forme) manipulent plutôt les symboles (ce qui les rend accessibles), toi, tu tritures les "diaboles", ce qui, je le crois, te rend unique mais aussi, déconcertant... tu t'adresses à une pensée décontenancée au point précis où « indiquer » et « signifier » se brouillent et où la pensée s’ouvre au monde.

Rarement artiste n'a placé tant de force et de violence dans son œuvre. Ses récits s’adressent à l’œil, à l’oreille et aux narines, à tous les orifices, qu’ils forcent pour accéder là où la pensée se forme. Les situations enfantées par la gouvernance d’extrême-droite à Hayange semblent démontrer « l'inexistence de l'histoire », (Pasolini justifie ainsi son film « Salo, les 100 jours de Sodome »). C’est une histoire qui se joue quelque part entre le « déjà là » et le « pas encore », latent, présent, le quotidien de notre expérience dans cette ville où le Front National et Riposte Laïque, dans leur univers tout à la fois réel et fictionnel, mystique et halluciné, se vautrent dans les salons de la maison commune.

Jihel nourrit son imaginaire de cette histoire. La politique s'impose à lui. Il a choisi son camp. 

 

Marc Olenine, auteur, petit fils d’immigrés et enfant de la Fensch, il observe un territoire en crise, un peuple meurtri et sa ville aux mains de l’extrême droite.

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La bêtte immonde - Michel Fugain
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La vallée du fer

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