top of page

Jihel...Hugo Pratt

PRATT HUGO

Hugo PRATT et JIHEL, l'un et l'autre quand l'autre se fait un.

 

Plusieurs rencontres...

Plusieurs vies...

Plusieurs aventures...

Un artiste qui est l'autre et...

Un chiffre trois pour symbole, puis des portes, plein de portes, érudition et ésotérisme, fils conducteurs de deux vies en ébullition.

Le mystère pour survivre là et partout, de Turin à Venise. Turin pour l'un, Venise pour l'autre.

On peut dire sans se tromper que ces deux créateurs ont construit leurs existences sur l'exagération et l'affabulation comme pour donner un sens à la nuit, ferment de l'idée qui part d'un continent à l'autre.

PRATT toujours à la limite de l'engagement, JIHEL toujours trop engagé.

Le clash.

La dimension politique s'est un peu évanouie, dommage ou pas... Qui est l'un, qui est l'autre?

Qui des deux dira "Dessiner, c'est penser un chemin, imaginer un voyage, c'est tout comme naviguer, on se trouve pris par des forces qui vous entraînent, vous submergent, vous n'êtes plus rien, une force invisible vous étreint, il en ressort comme une incertitude, une aventure qui d'intérieure se métamorphose en extérieure, le malaise disparaît, la feuille n'est plus blanche."

Cette prose est signée JIHEL, mais PRATT aurait tout aussi bien pu la dire.

La fusion de ces deux aventuriers au sens large du mot fait que l'un a dessiné l'autre et l'autre pas, que l'un aimait Talleyrand au point de le détester et l'autre détestait le Prince au point de l'aimer, que l'un a rejoint l'Orient éternel* et l'autre s'est assis au bord du chemin comme en attente d'un ciel d'orage. Tout est en place finalement même si on ne retrouve toujours pas l'un et l'autre, tant le désordre de la vie nous éloigne de l'un et de l'autre et parfois plus de l'un que de l'autre.

On a souvent qualifié le travail de l'autre d'utopie, mais c'est l'un qui donne du sens à l'irréel, alors je penche plutôt pour deux êtres hors du commun qui ont une vision du monde et de la société tout sauf statique et arrêtée.

 

Andréa MANARA (Venise)

*Hugo PRATT est mort le 20 août 1995 à PULLY (Suisse) 




 

 

PRATTIEN et JIHELISTE, l'étoile flamboyante en plus. 

Le trait puissant et épais de JIHEL qui n'est pas sans rappeler Jossot est à la base de ma passion démesurée pour tout ce qui touche de près ou de loin à cet artiste (Affiches, lithographies, sérigraphies, peintures, dessins, gravures, sculptures, cartes postales, livres etc...)

Je possède dans le classement de la fondation FORA en Argentine environ 12000 documents de cet auteur provenant en grande partie du legs d'un amateur Suisse venu finir ses jours à Buenos-Aires. Pour avoir passé des heures, des jours et des nuits à décortiquer les textes puis les dessins, j'ai cette analyse pointue à délivrer.

J'ai choisi pour cet article un thème parmi mille que l'on pourrait exploiter, le rapport avec Hugo PRATT, artiste qui est également bien représenté dans nos collections. Pratt a vécu en Argentine de nombreuses années, Jihel à ma connaissance non, mais il fut un soutien actif des artistes engagés contre la junte sous la dictature militaire de 1976 à 1983 et ce par différents moyens, conférences, portfolio de 10 sérigraphies dont le bénéfice de la vente a été intégralement reversé à cette cause, accueil de réfugiés, etc...

Me voilà donc avec deux dessinateurs intellos et érudits, il me faut être le plus précis possible pour ne pas ternir leurs mémoires.

Il existe de très nombreux points communs entre ces deux artistes et je vais essayer de souligner ceux qui sautent véritablement aux yeux, le plus important est je crois cette animosité des expositions et des dédicaces, c'est là je pense l'un des éléments de la rareté de ces artistes et de la rencontre avec leurs publics. Pour Jihel cette phobie est apparue sur le tard (disons vers la cinquantaine) car jeune il n'était pas avare de conférences, manifestations et expositions de groupe.

A la manière de Pratt qui inflige une révolution dans le neuvième art, Jihel fera vivre dans ses planches la narration tout autant que le dessin, une première pour la caricature et la satire. Outre ces deux premiers points un troisième plus léger traverse mon esprit, ce sont de grands séducteurs aux multiples conquêtes, tous les deux mariés plusieurs fois, Pratt aligne néanmoins un nombre important d'enfants ce qui n'est pas le cas de Jihel.

Un quatrième point de convergence est que leur travail est toujours basé sur de sérieuses recherches historiques.

Ils sont tous les deux francs-maçons.

Ils sont également des grands voyageurs, à Pratt l'Ethiopie pour un Jihel aux Amériques, à Pratt l'Argentine et à Jihel l'Océanie, etc etc...

Un dernier point pour terminer, l'amour des beaux livres, en bibliophile passionné la maison de Pratt à Grandvaux était une immense bibliothèque qui accueillait une collection de plus de 30 000 livres, il en est de même de la maison de Jihel dans le Gard qui je pense n'est pas très loin de ce nombre.

On peut dire sans se tromper que Jihel a vraiment assimilé l'auteur de bandes dessinées Italien au point que comme lui il a plusieurs manières de raconter sa vie et que l'on ne saura jamais la part d'affabulation qu'il a introduite dans les multiples interviews que j'ai pu auditionner, il reste et restera je pense un mystère sur des pans entiers de sa vie et c'est peut-être bien ainsi. L'on voit très bien à l'étude de ses planches que Jihel connait son ami Pratt par cœur, l'insistance sur Jules Verne qui apparait très souvent est là pour rappeler que le dessinateur Vénitien a lu au grand complet dans sa prime jeunesse l'œuvre de Verne poussé en cela par son père qui lui a fait lire le maitre de l'anticipation en Français avec un atlas. Il en restera quelque chose dans son parcours pictural et sa soif de voyages.

Néanmoins on peut suivre facilement Jihel au travers de ses dessins et ce depuis les années 60, allez on va dire Mai 68 pour prendre une référence qui lui est chère. On navigue avec lui au gré de ses expositions de Turin à Barcelone, de Berlin à New-York, car il laisse souvent un témoignage écrit comme un livre ouvert, une écriture dessinée, une trace pour défier le temps qui passe. Si on y prend le temps on trouve là une explication sur le pourquoi. Il serait d'ailleurs très intéressant de regrouper ce type de dessins qui explique un parcours, une vie, en effet tel dessin va parler de la mort de son chien noir dénommé Folie, de l'arrivée d'un chat, d'une altercation avec des nervis d'extrême droite sur une exposition à Turin, de la mort d'un ami, d'une rencontre amoureuse, de menaces de mort à son endroit, de l'attentat contre sa librairie, etc… etc... Il s'est aussi très souvent autoportraitisé pas toujours à son avantage d'ailleurs, se moquant de lui même, ainsi il apparaît jeune, plus âgé, barbu ou chevelu suivant les époques et surtout ses désirs , car là aussi il mélange les genres et surtout les pistes. Après on peut également prolonger l'étude par ces séries parfois sans fin sur les villes ou il a séjourné plus ou moins longuement, Limoges, Angers, Nice, Asnières, Beaucaire, Nîmes, etc... A chaque fois, il prenait le pouvoir en place en grippe et lançait une ou plusieurs séries de cartes qui font la joie des collectionneurs mais le désespoir des maires en place.

Une piste également à explorer, ces intéressantes éditions de la Canetille dédiées à son ami LENZI, peintre de l'école de Nice ou il est croqué par son comparse du mouvement uchroniste sur plusieurs dessins dont une série majeure en compagnie d'Hugo Pratt, quelques phrases lâchées ici ou là raconte un parcours sinueux et des rencontres intéressantes tant avec Pratt que Crepax ou encore Manara. Une période Italienne que l'on situe dans les années de plomb entre 1960 et la fin des années 80, une perméabilité avec Prima Linéa et des amitiés certaines et avérées avec des anarchistes et des intellectuels du moment tels Panella ou Négri.

Pratt est bien loin de tout cela, lui qui est à la marge de tout engagement et c'est là qu'on se perd en conjonctures, il est dans le cœur de la période rouge de Jihel que l'on peut donc situer dans les années 80, Pratt à une cinquantaine d'années et Jihel la trentaine affirmée, les rencontres se font ou ? Pratt en grand vagabond est toujours ailleurs, alors peut-être en Italie, certainement en France mais aussi vraisemblablement en Suisse ou Jihel a quelques soutiens ou mécènes d'envergure (Un banquier bien connu des collectionneurs et surtout Jean ZIEGLER député socialiste dérangeant pour la confédération Helvétique).

L'imaginaire de Jihel est sans limite, même si beaucoup moins tatillon que Pratt sur les costumes de ses personnages ou la vérité historique, sa passion de l'uchronie le lui permet, il transcende les périodes sans vergogne, on peut donc voir un Talleyrand à la mode zazou discuter avec Jules Verne habillé en costume Louis XV, c'est un réel plaisir de voir Pratt se démener dans des rapports ambigus avec Verne, Beethoven, Chaplin ou encore Cléo de Mérode, Guillaume II sans oublier Mona Lisa, les dessins avec Garibaldi poussent le trait de Jihel à une exigence accrue où l'on perçoit quelquefois une forme d'intolérance.

Sans flagornerie aucune cet artiste accroche vraiment la lumière, il a su trouver l'alchimie du papier, de la couleur et des textes.

Plusieurs dessins liés à Pratt se situeraient par déduction dans les années 90 ce qui de fait prolonge leur amitié et leurs rencontres, Pratt est malade, n'oublions pas qu'il est mort en août 1995 à Pully aux environs de Lausanne, Jihel n'a bien entendu pas oublié de lui rendre des vibrants hommages dessinés mais surtout philosophiques, encensant la vie flamboyante de son ami à l'image de cette étoile qui le guide lui Jihel encore aujourd'hui.

A partir de la mort de Pratt, à part les cartes d'hommage, Jihel a cessé de créer des dessins satiriques sur son ami, c'est une habitude et une règle chez cet auteur, il fit de même avec Dubuffet.

Je tiens là le fil conducteur de mon article liant ces deux artistes, l'étoile flamboyante, ils étaient tous les deux francs-maçons et malgré les vingt ans d'âge qui les séparaient, l'un étant né en 1927, l'autre en 1947, malgré les distances, les pays, les supports artistiques, les engagements, ils se rencontraient souvent, encore et toujours au cœur de l'imaginaire.

Pratt est mort, Jihel est vivant, il serait donc important pour les nombreux amateurs, pour l'histoire, de le questionner afin de donner des réponses a beaucoup d'interrogations, corriger des inexactitudes ou des trous béants de biographie. Ok Jihel est un anarchiste individualiste, ok, c'est donc un solitaire, renfermé mélancolique, mais c'est aussi un homme public qui est un provocateur, alors diable, provoquons le, qu'il sorte de sa tanière pour nous éclairer, qu'il parle, ça nous intéresse parce qu'à force de vouloir tout expliquer on n'explique plus rien, période rouge ? Et pourquoi pas période blanche ou période bleue qui correspondraient aux périodes royalistes de l'auteur ? On marche sur la tête. Où il se trouve Jihel doit bien se marrer lui qui adorait être insulté par les imbéciles et qui disait "Ce dessin existait bien avant que je ne le fasse, il était en suspend, le voilà, faites en bon usage et tenter de l'expliquer sera chose facile si vous me connaissez bien." Il est là notre problème, on ne connait pas bien Jihel alors fatalement on explique mal.

Jihel a aussi dit "Quand on est public on s'expose à être interprété, disséqué et critiqué, je vous en prie, ne vous gênez pas." C'est ce que je viens de faire.

 

A.B. SALINAS

Conservateur du fond F.O.R.A

Argentine. 

Dessins en collaboration avec Lenzi

Divers

bottom of page