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HERGE

TINTIN, HERGE ET JIHEL


 

Un désaccord profond est installé depuis les années 70 entre Jihel et moi à propos de Hergé, c'est vous dire si le temps a passé, presque un demi-siècle, nous sommes tous les deux âgés maintenant, mais non réconciliés et même si l'on ne se voit plus, les dernières créations de cet artiste me parviennent, la magie internet. A ma grande surprise celui qui avait déserté la scène de la satire pendant une bonne dizaine d'années reprend du service à l'occasion du tragique événement de Charlie ou il a perdu ses amis chers Cabu et Wolinski. Son talent est toujours là, son sens aigu de la critique plus que jamais présent, il égratigne à nouveau Hergé à l'occasion de l'annulation par le musée de Louvain La Neuve de l'exposition consacrée à Charlie Hebdo. Plusieurs dessins virulents vont à nouveau apparaître comme un défi au temps qui passe et où rien ne bouge. La grande difficulté maintenant c'est de pouvoir se procurer ses dessins, le circuit n'est plus le même, Jihel est injoignable et les quelques dessins qui se retrouvent sur des sites d'enchères atteignent des sommets en prix.

Je concède bien volontiers à ce dessinateur le mérite de travailler sans soucis de plaire, c'est un artiste militant et je l'en félicite car ce n'est pas monnaie courante dans ce milieu.

C'est évident Georges REMI dit Hergé, n'a pas eu loin s'en faut un comportement exemplaire avant et pendant la guerre, mais à mon humble avis le terme de "Collabo" que lui assène régulièrement Jihel est largement exagéré. Je pense plus simplement qu'Hergé avait un plan de carrière ambitieux et que les nazis se sont servis de lui.

Hergé raciste dans l'album "Tintin au Congo", c'est vrai qu'il y a des relents colonialistes dans cette BD, mais il est important de savoir qu'à l'époque, la Belgique détenait une partie du Congo en tant que Colonie et que la commande de cet album provenait de l'abbé Wallez qui dirigeait le journal "Le vingtième siècle" ou travaillait Hergé. L'idée était avant tout patriotique en faisant œuvre de propagande coloniale pour inciter les Belges à aller y vivre et travailler. Il est important de rappeler que l'abbé Wallez était pour Hergé son père spirituel.

Hergé antisémite dans l'album "L'étoile mystérieuse", certainement un peu, le méchant de ce récit étant un financier nommé Blumenstein. Finalement au vu du contexte de l'époque et ce que l'on sait de son entourage, la plupart de ses amis et collaborateurs étaient liés à des mouvements fascistes, on peut se demander comment Hergé ne fut pas plus antisémite. Il fut la victime de son milieu sociologique, la droite catholique tendance Maurrassienne parmi lesquels Paul Jamin dessinateur antisémite qui signait sous le pseudonyme de Jam, Léon Degrelle chef du mouvement REX, Raymond De Becker qui dirigeait le journal "Le Soir" et adepte du national-socialisme, si on y ajoute l'abbé Wallez, Hergé était vraiment très mal entouré.

Pour être complet sur le sujet, c'est vrai qu' Hergé n'a jamais condamné ses amitiés politiques d'extrême droite rencontrées bien avant la seconde guerre mondiale et continuées pendant. Il n'a jamais renié son engagement au journal "Le soir" journal pro allemand, donc on peut dire à ce stade que Hergé a apporté son soutien artistique aux nazis sans collaborer au sens génétique du mot, il n'avait qu'un but réussir dans son art et son plan de carrière faisait fi de la politique du moment.

Voilà donc dressé à charge le portrait de Hergé, au tour de Jihel. Ce dessinateur de talent qui ne manque pas d'imagination va certainement trop loin dans son approche du problème mêlant insidieusement Tintin et Milou à ses frasques délirantes. Un dessin de 1994 dans une série maçonnique fait dire à Tintin tenant un tablier de franc maçon "J'ai un peu honte de mon père" et à Hergé en diable nazi qu'il aurait dû réaliser un album intitulé "Tintin chez les fils de la lumière" anticipation d'une idée pas si diabolique que ça, Hergé y aurait pensé. De nombreux dessins sur Degrelle comme celui ci au hasard intitulé l'homme qui parlait à l'oreille d'Hergé c’est donner beaucoup d'importance à celui qui se vanta d'avoir été le modèle de Tintin, abusivement bien entendu. La présence d'Adolf Hitler sur beaucoup de dessins radicalise le message de l'artiste et l'exclut de la sorte de nombre de collections sérieuses, il passe ainsi dans ce qu'un collectionneur appelle l'enfer, mais connaissant un peu Jihel je suis certain que ça ne lui déplait pas. On sent bien chez ce dessinateur le besoin d'en découdre avec les Tintinophiles, lors d'une exposition sur Hergé, il viendra seul contre tous défier les dessinateurs présents en distribuant un tract anti Hergé, c'était assez gonflé mais c'est Jihel, souvent à la marge, très souvent hors temps, des dessins "peau de vache" qui font rarement rire mais toujours réfléchir, souvent en grinçant des dents.

Je juge Jihel comme quelqu'un de très intelligent, un peu poète, beaucoup philosophe, je l'ai rencontré plusieurs fois, souvent par hasard. Un jour j'étais à Albi pour une expo, on me signale sa présence dans la salle, je le fais appeler, il ne se dérobe pas, la discussion s'engage, un attroupement se forme autour de nous, les gens prennent parti de part et d'autre mais contrairement à ses dessins, il ne se retrouve pas dans l'excès et il fait des effets de manche et de l'humour gentil pour retourner un auditoire très hostile, et à mon grand étonnement il y parvient par son droit de l'artiste à tout critiquer. La discussion enflammée a duré plus d'une heure et sa dernière boutade sera, je cite "Merci, vous m'avez redonné mes vingt ans, je me suis cru dans une AG de l'Odéon en Mai 68"

Discutant après avec des amis certains furent séduits par son discours, j'ai bien senti l'émotion suscitée par ses mots, c'est que Jihel raconte toujours une histoire, un imaginaire, mais de manière simple, sans prétention. C'est quelqu'un qui se fiche complètement de l'argent et de la célébrité, le contraire d'Hergé en somme, difficile alors d'avoir prise sur lui. Ce n'est pas un poseur, c'est un vrai libertaire qui garde en lui vivace sa part d'enfance même s'il n'aime pas se retourner et que son présent à lui, c'est l'avenir.

Je crois avoir dressé un portrait sincère de l'artiste iconoclaste qu'est Jihel. Si d'aventure quelqu'un voulait me donner la réplique ce serait avec plaisir et courtoisie que je l'accueillerais.

 

Andréas BENVETTEROS.

Amateur et collectionneur de l'œuvre d'Hergé. 

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